À Mon Pouchkine,
Marine Tsvetaïeva raconte comme Pouchkine
était tué. C’était la première chose qu’elle a su sur le poète russe : qu’il
fut tué – si non, il aurait vécu éternellement, nous en somme sûrs – entre le
blanche de la neige et le noire de la foret russe. Pouchkine tomba et rougit la
terre, tandis que Dantès partait.
Pouchkine fut tué dans un duel, qu’il joué. Dantès était
français et détestait Pouchkine. Il voulait le tuer parce qu’il envisageait ses
poèmes. Pouchkine se battit en duel et je l’aime pour cela et ses poèmes, qui
étaient le vrai duel.
J’ai peur. Je peux. Ma peur. La perte.
Deux fois j’ai parlé ici de la peur et voilà la troisième
pour l’intégrer, enfin. Jusqu’au point de toucher l’absurde, en me battant avec
elle pour l’enterrer. Bataille significative, en revanche, courir le risque.
Je pourrai chercher le chemin pour me battre avec la peur
mais je le sais absurde. Je connais déjà la fin est c’est la parole par s,
c’est la s du silence, la s de la solitude, la s de se savoir... Mais on peut
déguiser ce s, et je la déguise de peur, parce que c’est une farce entre mille pour
faire voir le vivre ensemble. C’est mon choix, plus lucidement, depuis quelques
ans, depuis de mon m. Je ne peux pas le voir – la voir – d’une autre manière,
pour l’instant. Toujours avec la souffrance à la fuite, la disparition, l’abîme,
la perte.
Et si je me lance à jour avec l’abîme ? Il ne m’a fallu
pas adoucir ces ans, non. Je me trouve très à l’aise dans le chaos, afin de ne
voir nulle part la lucidité du s. Mais j’en parlerai trop tard.
Maintenant, il faut parler de mon duel quotidien et
irréfrénable avec l’abîme. Et qui me jette à la défense : à prendre tous
risques. Assurance tous risques qui se bat avec le désir.
Et c’est alors que je peux parler de mon Michel. Le Mont
Michel. Mon Leiris.
Comme préface à L’Age
d’homme, Michel Leiris écrivit en 1933 « De
la littérature considéré comme une tauromachie ». Dans ce texte si
précieux Leiris avoue qu’il va risquer sa vie, à travers l’écriture. La
littérature se présente comme l’instrumente d’une catharsis, d’une liquidation,
à travers laquelle il va se confesser avec le maximum de lucidité et sincérité.
Il ne cache pas son désir d’être absous : c’est le désir de tout texte
autobiographique.
Mais sa peur est
autre: le fait d’arriver jusqu’au fond de soi-même et après décorer le parcours
avec les mensonges de l’esthétique. Cela le torero ne le fait jamais !
Le torero se bat en duel avec des fioritures, mais tout nu.
Et c’est pour le torero qu’il y a toujours risque de mort, ce qui n’est pas
jamais pour l’écrivain (sauf dans certains contextes politiques externes).
Non : le but de Leiris est amener le risque de mort du torero jusqu’à son
intérieur, bien qu’il soit seulement en montrant la pointe du corneau du
taureau.
« Mettre à nu certaines obsessions d'ordre sentimental ou sexuel, confesser publiquement certaines des déficiences ou des lâchetés qui lui font le plus honte, tel fut pour l'auteur le moyen – grossier sans doute, mais qu'il livre à d'autres en espérant le voir amender – d'introduire ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une œuvre littéraire »
Il s’agit moins de parler de
« littérature engagée » que de s’engager tout entier. Attendant que
l’écriture lui modifie ou l’aide à prendre conscience de soi-même, Leiris admet
seulement que des faits véridiques et rejet tout affabulation de sa vie.
« Car
dire la vérité, rien que la vérité, n'est pas tout : encore faut-il
l'aborder carrément et la dire sans artifices tels que grands airs destinés à
en imposer, trémolos ou sanglots dans la voix, ainsi que fioritures, dorures,
qui n'auraient d'autre résultat que de la déguiser plus ou moins, ne fût-ce qu'en atténuant sa crudité, en
rendant moins sensible ce qu'elle peut avoir de choquant »
Parce que la réalité n’a pas d’artifices. Le duel de
Poushkine et de Leiris est le vrai duel. Se mettre en péril est voir qu’il n’y
a rien. Courir le risque du torero c’est danser au milieu de l’abîme. Il n’y a
pas aucun doute : il n’y a risque d’erreur, si on décide de danser avec le
risque. Risquer sa vie, c’est s’exposer à la mort. Mais on vit seulement dans
la conscience et la décision de ce risque. Si on décide de le vivre, on risque
un œil à la fenêtre. Si je risque-tout - je vis.
Les risques du métier :
Michel Leiris et le courneau du taureau
Juan Belmonte, matador de toros